Jopaselu : Quelle est la position exacte du gouvernement tibétain en exil sur l'indépendance ou l'autonomie du Tibet, mais aussi sur le boycott de la cérémonie d'ouverture des JO (et non le boycott des Jeux) ?
Matthieu Ricard : Le dalaï-lama a dit d'innombrables fois que quel que soit le passé, même si le Tibet, du point de vue du droit international, est une nation occupée, du fait que le Tibet a été coupé de la mer et peu développé, on pouvait voir un aspect positif des choses à ne plus demander l'indépendance. Et comme Deng Xiao Ping l'a dit, mis à part l'indépendance, tout pouvait être discuté avec le dalaï-lama. Sur cette base, celui-ci a dit : renonçons à l'indépendance et discutons d'une autonomie dans laquelle les Tibétains pourraient gérer leurs affaires intérieures (éducation, culture, religion), et laisseraient au gouvernement central les affaires extérieures et la défense.
L'étape suivante serait que le Tibet soit une zone de paix entre les grandes puissances de l'Asie. Le dalaï-lama a toujours dit qu'il fallait un engagement positif avec la Chine, qu'il n'était pas en faveur du boycott, qu'il fallait s'ouvrir à la Chine en espérant qu'elle allait se libéraliser.
Cela dit, il a dit qu'on ne pouvait pas reprocher aux gens de manifester leur indignation devant la tragédie qui, de nouveau, a affecté le Tibet, mais que lui ne demandait pas le boycott. Ce qui semble plus constructif, ce serait de dire : oui, nous participerons aux Jeux et à l'ouverture, à condition que vous entamiez un dialogue avec le dalaï-lama avant les Jeux.
Jean-Louis P. : Ne pensez-vous pas que les Chinois, dans leur grande majorité, ont l'impression qu'on cherche à les humilier et à gâcher une fête sportive qu'ils ont durement préparée ?
Matthieu Ricard : C'est exact, mais c'est principalement dû à la façon dont sont présentées les informations dans les médias chinois, où l'on donne l'impression que le soulèvement qui se produit encore en ce moment dans toutes les régions du Tibet serait en réalité le fait de quelques voyous tibétains qui auraient des pensées racistes à l'encontre des Chinois. Alors que c'est en fait un acte de désespoir à la suite de cinquante ans d'oppression qui ne se relâche pas, et dont la nature est complètement inconnue du peuple chinois, du fait qu'il y a un contrôle des médias qui n'existe pratiquement nulle part ailleurs dans le monde, ce que confirment tous les correspondants de presse qui vivent en Chine.
Matthieu Ricard : Je pense qu'il est nécessaire en ce moment d'utiliser tous les moyens possibles et raisonnables pour maintenir la pression sur la Chine, notamment afin qu'un dialogue s'ouvre avec le dalaï-lama avant les Jeux. Et en particulier en ce qui concerne les manquements aux droits de l'homme qui ont lieu en Chine.
Merci de vous sentir concernés par cela. C'est la première fois depuis la loi martiale de 1989 que le monde s'émeut autant de ce qui se passe au Tibet, et espérons que ces Tibétains ne seront pas morts en vain et qu'un progrès constructif pourra s'ensuivre, principalement l'ouverture d'un dialogue avec le dalaï-lama. De sorte qu'à la fois le sort des Tibétains soit enfin amélioré, et que le peuple chinois lui-même trouve sa satisfaction dans des Jeux qui se dérouleraient à peu près normalement.
Quant au gouvernement chinois lui-même, on n'a pas beaucoup de compliments à lui faire. Tout ce qu'on peut lui souhaiter, c'est qu'il s'ouvre finalement à un monde de tolérance et de dialogue. Mais pour cela, il a beaucoup de chemin à parcourir.
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