Tiré du Monde libertaire n°1508 du 13 au 19 mars 2008
IL EST DE BON TON, dans les colonnes d'une presse aux ordres (et aussi, parfois, dans le Monde libertaire) d'évoquer la « débauche de catastrophisme » , notamment écologiste, comme technique de domination, de stigmatiser un goût macabre pour les pronostics les plus sombres, l'excès, l'extrémisme, la recherche du sensationnel, la démagogie, le gouvernement par la peur, et principalement l'utilisation des craintes ancestrales de l'homme liées à la question climatique. Il est vrai qu'il est souvent inopportun d'être catastrophiste : quand un individu se jette du 15e étage, au moment où il passe devant le 1er, tout se passe encore très bien!
Et si, pourtant, c'était l'inverse! Si, comme l'orchestre du Titanic jouant en attendant une fin certaine, nos bateleurs d'estrade nous divertissaient en attendant le naufrage? Si le GIEC n'est pas indemne d'erreurs de méthodologie, d'approximations, d'interprétations un peu hâtives, faut-il ignorer l'influence du lobby qui s'acharne à nier l'importance du réchauffement climatique, à exploiter les zones d'incertitude pour entretenir le doute ? Faut-il détourner le regard des milliers de dollars offerts par de grandes entreprises pour discréditer des rapports trop sombres à leur goût? L'attitude majoritaire, chez les dirigeants, ne consiste-t-elle pas à nier l'évidence, à rassurer à tout prix, à minimiser les risques, à masquer les périls, à voiler les avertissements, à dissimuler les signaux qui clignotent, à étouffer les alarmes qui se multiplient, quitte à infantiliser l'individu. « Il n'y a rien à penser, rien à critiquer. Tout va bien, nous maîtrisons la situation: consommez tranquilles ». Les citoyens sont-ils moroses? On fait miroiter une augmentation de leur pouvoir d'achat par une relance de la croissance. L'obsession du pouvoir en place n'est-elle pas, précisément, d'inciter à l'indifférence, d'anesthésier la conscience, de dissoudre la faculté de juger, d'effacer la mémoire, de diluer le souvenir? Langue de bois destinée à tromper la vigilance, discours d'autosatisfaction qui invite à la politique de l'autruche. Désinformation, silence, mensonge, décervelage, bourrage de crâne des « communicants » qui mutilent la pensée.
Quand cet allumé d'Yves Coppens, professeur au Collège de France, écrit: « Qu'on cesse donc de peindre l'avenir en noir! L'avenir est superbe », alors que le prix du pétrole va bientôt plonger des millions de foyers dans la précarité, sinon dans la misère, quand cet abruti de Pr Pellerin laisse entendre que le nuage deTchernobyl a contourné la France ou quand des experts affirment que l'augmentation du nombre de cancers est due à l'allongement de la vie plutôt qu'aux polluants, s'agit-il d'attiser la peur ou de favoriser le sommeil? Quand les académiciens arrogants taisent les menaces et les dégâts des nitrates, de la dioxine, de l'amiante, du nucléaire, des OGM ou des nanotechnologies, défendant ouvertement les intérêts des industriels, s'attachent-ils à alerter ou à endormir? Faut-il rappeler que l'Académie de médecine estime que le principe de précaution constitue « une pression dangereuse sur la décision politique », « un obstacle à la démarche scientifique et aux innovations technologiques »?
Combien de chercheurs ont vu leur carrière brisée parce qu'ils s'obstinaient à crier la vérité, à démontrer la toxicité d'un produit, à mesurer l'impact d'une pollution? S'il fallait véhiculer la peur, on les aurait encouragés. Comment réagissent les pouvoirs publics à chaque scandale (sang contaminé, vache folle...), sinon par une tentative d'étouffer l'affaire? Une note confidentielle saisie, en 1996 à Bruxelles, dans un bureau de l'administration européenne, disait textuellement: « Il faut avoir une attitude froide (au sujet de la vache folle) pour ne pas provoquer des réactions défavorables sur les marchés. Il ne faut plus parler de cette maladie. Nous allons demander au Royaume-Uni de ne plus publier ses recherches. Il faut minimiser cette affaire en pratiquant la désinformation. Il vaut mieux dire que la presse a tendance à exagérer. » Peut-on être plus clair? Le 20 septembre 2003, Chirac, Blair et Schröder, agissant en véritables porte-parole du lobby de la chimie, écrivaient au président de la Communauté européenne, pour se dire préoccupés par le projet REACH, qui visait à passer au crible des tests de toxicité les 30000 substances sur le marché: « Nous estimons que la procédure d'enregistrement envisagée sera trop bureaucratique et inutilement compliquée »!!! Ainsi, il vaut mieux sauver les profits des multinationales qu'alerter la population sur les risques qu'elle encourt! Par ailleurs, pourquoi le secret entoure-t-il, entre autres, les dégâts causés par les maladies dites « iatrogènes » (c'est-à-dire provoquées par le praticien, les soins ou les médicaments) ou les méfaits de la vaccination? Quand on sait que le marché mondial pharmaceutique s'élève aujourd'hui à 650 milliards de dollars, on comprend mieux!
Enfin, que peut-on dire des auteurs dont les écrits relèvent du négationnisme: Luc Ferry, Le Nouvel Ordre écologique, Pierre Kholer, L'imposture verte, Jean-Jacques Brochier, Danger! Secte verte, Jean-Paul Croizé, Écologistes, petites esbroufes et gros mensonges, et beaucoup d'autres. L'un des plus gravement atteints, c'est Claude Allègre, qui a déjà commis Ma vérité sur la planète. Ce grand pourfendeur de mammouth entend dénoncer l'écologie de la peur et de l'antiprogrès. Il prône une « écologie réparatrice », c'est-à-dire une fuite en avant technologique, un délire techno-scientiste qui camoufle les vrais responsables, disculpe les pollueurs.
Certes, le gouvernement par la peur existe pour assurer la domination des classes dirigeantes. Mais les « démocraties libérales » ont privilégié depuis longtemps les tisanes du soir aux vertus soporifiques, les somnifères ou les tranquillisants au détriment des substances qui tiennent éveillés. La seule vraie peur que distille le pouvoir, c'est celle de l'autre, de l'étranger, du déviant, de l'hérétique, du jeune de banlieue, du petit délinquant. La peur de voir détériorer le bien matériel, de voir violée la propriété privée.
Pour se convaincre que l'intention des décideurs est d'hypnotiser plutôt que d'effrayer, il faut lire le livre récent d'Armand Farrachi Petit lexique d'optimisme officiel, qui montre que le but de l'offensive sémantique, du linguistiquement correct est bien d'abuser les foules en désignant en termes positifs des phénomènes plutôt négatifs. On ne dit pas saccager la nature mais valoriser les ressources, aménager le territoire. On ne dit pas réformer mais moderniser. On ne dit pas licenciement massif mais plan social. On ne prononce pas patron mais employeur. On ne parle pas de cheminement aléatoire de la science mais d'avancées scientifiques. On ne dit pas chasseurs mais gestionnaires de la faune sauvage. On ne rase pas une forêt, on la régénère. On n'évoque pas la guerre mais l'intervention humanitaire.
À qui profite le crime?
L'objectif - voire l'obsession - c'est, bien entendu, le maintien de l'ordre établi, la stabilité des hiérarchies, la préservation des privilèges, la consolidation des fortunes, la durabilité du capitalisme, mais pas seulement. Parce que, parmi les détracteurs du « catastrophisme » , se trouvent nombre de scientifiques, quelles que soient leur opinions politiques. Pour ces technophiles incorrigibles, chaque innovation techno-scientifique ne pouvant être qu'un « progrès », toute contestation portant atteinte à l'infaillibilité de ladite techno-science, ne peut être que de l'obscurantisme, du passéisme, des propos archaïques, de la prose de réactionnaires, du pessimisme excessif, une nostalgie pathologique. La science n'est-elle pas le « discours compétent sur le monde social » ? Sus donc aux oiseaux de malheur!
Comme si le doute sur la raison toutepuissante, la reconnaissance des limites physiques de la planète, de la finitude - et donc la conscience de la mort - portaient un coup fatal au délire prométhéen de dominer la nature, et même peut-être seulement de la connaître. La remise en cause est toujours une démarche douloureuse, et le scientisme est un savoureux opium. C'est d'ailleurs pourquoi la décroissance constitue aussi une cible privilégiée de la part de nombreux scientifiques. Le fait de posséder un niveau bac + 8 autoriserait-il à prendre les autres pour des imbéciles, et faudrait-il laisser une cohorte de Frankenstein, accoucheurs de monstres, transformer la science en instrument d'asservissement et la vie en cauchemar? Certains sont toujours prêts à servir la cause écologique... mais ne manquent jamais d'asséner des coups perfides à ceux qui la défendent.
C'est précisément parce que le silence a pesé sur la tragédie en gestation que les dégâts ont atteint une telle ampleur. Si les médias nous abreuvent aujourd'hui de réchauffement climatique, entre autres, peut-être est-ce parce que la situation est si préoccupante (et pas seulement dans ce domaine) que la panique s'empare des milieux dirigeants qui ont toujours nié une réalité qui s'aggravait, et qui vont devoir annoncer brutalement que l'on se trouve au bord du gouffre. L'exercice s'avère périlleux.
Jean-Pierre Tertrais
Groupe La Sociale, Rennes
Subscribe to:
Post Comments (Atom)
No comments:
Post a Comment