Winter Is Coming, Une brève histoire politique de la fantasy, de
William Blanc. Il s’agit ici de l’édition de 2023, actualisée et augmentée, parue aux éditions
Libertalia.
Le livre, comme indiqué par son sous-titre, envisage une approche politique de la fantasy et est structuré en quatre parties : William Morris, J. R. R. Tolkien, George R. R. Martin, et enfin une partie « Bonus ».
Une brève introduction historique rappelle que les super-héros sont nés à la même époque que le futurisme et ont ainsi accompagné la modernité, alors que la fantasy, née au moment de la révolution industrielle, la critique voire s’y oppose. Il serait cependant trop simpliste de dire que cette dernière serait « réactionnaire » : le futurisme n’a-t-il pas précédé puis accompagné la montée du fascisme en Italie ? Il existe donc une relation complexe entre fantasy et politique — d’où la nécessité de ce livre.
Si on tourne le regard vers l’écologie, les « camps » en présence s’intervertissent : les super-héros, la science-fiction ignorent les problèmes écologiques, alors que, très tôt, la fantasy les a mis en évidence.
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Il s’agit d’un livre court et, comme je l’indiquais, il procède par touches impressionnistes en abordant successivement trois auteurs-phares de la fantasy — du moins chez les Anglo-Saxons, William Morris, à qui est consacré le premier chapitre, n’étant hélas pas très connu en France. Le thème principal de l’œuvre de Morris est l’opposition entre l’Artisanat, qui permet l’imagination, et l’Industrie, qui l’obère. C’est la raison pour laquelle Morris lutte contre la révolution industrielle, puis son pendant, la prolétarisation des ouvriers mais surtout contre l’impossibilité, pour ces derniers, d’accéder à la Beauté. D’où la création du mouvement Arts and Crafts en parallèle de la fondation de la Socialist League. William Morris influencera à la fois les communistes (via Engels) et les anarchistes (via Kropotkine). Mais attention William Morris ne souhaite pas un retour à une société pré-industrielle : il appelle plutôt à créer une société post-industrielle s’inspirant de la beauté du Moyen Âge. Je tiens à citer un passage très important (page 28) :
Imaginer des mondes, écrire des contes et rêver d’un passé merveilleux, c’est donc, pour lui, déjà préparer les masses à l’avenir.
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Deuxième auteur : J. R. R. Tolkien. Catholique et conservateur, JRR Tolkien ne s’oppose pas tant à la révolution industrielle qu’à son pendant guerrier : les horreurs de la Première Guerre mondiale vues comme le résultat des agissements de monstres maléfiques, cf. cet extrait de la page 35 :
On le voit, les dragons qu’emploie Melko renvoient plus à des tanks, à des canons ou à des lance-flammes qu’à des créatures de légende.
Le fait que le pouvoir corrupteur de l’Anneau s’applique à tous, sans distinction, montre que toutes les nations européennes se sont rendues coupables de mécaniser et d’industrialiser la guerre et pas uniquement les Allemands. Cependant la séquence finale du Seigneur des Anneaux, avec Saroumane qui transforme la Comté en dictature industrialiste, rejoint les préoccupations exprimées par William Morris.
Le livre exprime un parallèle intéressant avec les Schtroumpfs et Astérix (également qualifiés d’œuvres
fantasy) qui mettent en avant des villages perdus dans la nature résistant à la « civilisation ». Suivent d’autres considérations sur l’influence de JRR Tolkien sur la contre-culture et la gauche contestataire européennes. Dommage que l’influence de JRR Tolkien sur l’extrême-droite italienne ne soit pas évoquée (cf.
Le grinfie fasciste su Tolkien: un caso tutto italiano). En revanche l’auteur rend bien compte de la perte du caractère subversif de l’industrie du réenchantement à mesure que son succès s’accroît.
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Troisième auteur : George R. R. Martin, fervent défenseur de l’escapism, et en particulier de l’utilisation de la fantasy comme contre-feu face au consumérisme béat des années Reagan. Sans angélisme cependant — GRR Martin reste conscient des limites d’un mouvement trop proche de l’utopie et trop déconnecté de la réalité, comme résumé par ce passage (page 64) :
Sa fantasy existera dans un entre-deux qui critique à la fois les imitations marchandes et dépolitisées du genre et un usage par trop militant de celui-ci.
William Blanc s’attarde ensuite sur une interprétation beaucoup plus récente de Game of Thrones : la série serait (page 66)
un avertissement : divisée, l’humanité ne pourra pas parer à la menace du changement climatique.
Je ne suis personnellement pas particulièrement convaincu : la série de romans du Trône de fer a commencé à être rédigée en 1991. Il y a peut-être une intention inconsciente, due au pessimisme générationnel (comme surligné en page 68) mais selon moi pas un message direct. D’ailleurs l’acteur qui interprète Jaime Lannister dit lui-même : « Je ne pense pas que cela ait été conçu comme tel à l’origine, mais il y a des parallèles évidents » (page 71).
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Une dernière partie intitulée « Bonus » présente des réflexions disparates mais non moins intéressantes. J’aime la lecture des jeux de rôle Old School comme « entreprise moderniste : les joueurs partent de la ville (généralement d’une taverne) pour aller dans des territoires sauvages dompter la nature assimilée à des bêtes reptiliennes » (page 84).
Un autre chapitre rétablit l’hiver comme image générale de vieillesse et/ou de mort, à rebours des hypothèses de la fin du chapitre consacré à GRR Martin.
Un chapitre aborde la relation fertile entre fantasy et jeu de rôle et explique pourquoi les premiers jeux de rôle se déroulaient presque exclusivement dans un cadre médiéval-fantastique.
Un dernier chapitre, écrit pour la réédition de l’ouvrage de 2023, rend compte de la marchandisation des univers de fantasy. La Société du Spectacle a avalé l’Escapism. Il aborde ensuite les lectures opposées faites par les belligérants du conflit russo-ukrainien, sans oublier d’analyser l’étonnante fan-fiction russe « le Dernier Porteur de l’Anneau » (même si elle date de 1999).
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